Cent ans aux Pyrénées

 

 

Cent ans aux Pyrénées

 

 

Parmi les ouvrages fondamentaux sur la littérature pyrénéiste, il faut citer l’ensemble de l’œuvre d’Henri Beraldi (1). Cette œuvre fondatrice et monumentale se répartit en 3 séries : Cent ans aux Pyrénées (7 volumes), Notes d’un Bibliophile (10 volumes), Balaïtous et Pelvoux (2 volumes). Beraldi écrit « Cent ans aux Pyrénées » suivant cette chronologie : Tome I (1898) : Ramond. La littérature pyrénéiste de l’Empire et de la Restauration. Les officiers géodésiens. Tome II (1899) : Chausenque. Romantisme. Franqueville et Tchihatcheff. Les officiers topographes. Lézar. Tonnellé. Tome III (1900) : Russell. Packe. Les Pyrénées sauvages. La société Ramond. Nansouty. Tome IV (1901) : La Pléiade. Le Versant Espagnol. Lequeutre. Wallon. Schrader. Gourdon. Saint-Saud. Tome V (1902) : Les Sierras. Cent ans après Ramond. Les Grottes du Vignemale. Le Pyrénéisme alpiniste. Tome VI (1903) : Après Cent ans. Les Pics d’Europe. L’Excursionnisme. Le Pyrénéisme impressionniste. Tome VII (1904) : Les Pyrénées Orientales et l’Ariège. Centenaire du Mont-Perdu. Le pullulement photographique. La Vulgarisation et l’Utilitarisme.

 

Louis Ramond de Carbonnières, né à Strasbourg en 1755, est fils de Languedocien et de mère allemande. Premières excursions dans les Vosges, puis en Suisse, sac au dos, couchant dans les cabanes, il s’aguerrit à la neige. Il rend visite à Voltaire, à Ferney. Cet homme sensible, observateur exact, coloriste, Buffon lui dit qu’il écrit comme Rousseau. Il aime les hauteurs : la glace bleue, les roches pourpres, le ciel noir, le soleil sec, l’air éthéré des cimes, la respiration libre… Et la tristesse de redescendre. À Paris, son protecteur sera l’évêque de Strasbourg, cardinal de Rohan. Agent secret, il fréquente Cagliostro dans l’affaire du « collier de la Reine ». En 1787, il accompagne le cardinal en exil aux eaux de Barèges. Que fait-il ? Il s’égaye à Bagnères-de-Bigorre, monte au pic du Midi ou au pic de Bergons, visite le cirque de Gavarnie et disposant d’une semaine de liberté pousse jusqu’à Luchon. En 1789, Louis François Ramond baron de Carbonnières fait la classique « tournée des Pyrénées » comme un homme « qui marche en montagnard, observe en savant et décrit en peintre » un volume de 452 pages (1).

 

 

Henri Beraldi assure que « c’est un livre et non un sec carnet de voyage ». En écrivain et artiste, « Ramond procède par contrastes, par alternances des tranches pittoresques avec les tranches scientifiques, proportionne, condense, abat les parties inutiles et le récit des tentatives infructueuses. Il sait même se borner, lui botaniste, sur l’article botanique et les citations de plantes en latin ! Il ne photographie pas, ce serait de l’anachronisme, il fait du tableau, du Joseph Vernet, du paysage historique, mais sur une mise en place très exacte. Il est soigneux sur les effets. Il a la coupe théâtrale, c’est un librettiste qui a l’art de faire succéder au récitatif géologique la romance du berger, l’ariette du laitage, la ballade du contrebandier, la cavatine de la vallée de Campan, l’arioso de la Maladetta ». Mais attention, à force de mettre de la couleur, il empâte quelquefois son trait. Emphatique, il sacrifie au jargon du temps, « l’approche de la Révolution le rend effervescent, nettement déclamatoire ». Il aborde le Pic du Midi et la Brèche de Roland par Pau et visite « le plus triste et le plus touchant des monuments » le château d’Henri IV où « l’on embrasse son berceau comme une relique sacrée ». Les méandres du Gave l’enchantent, les beaux vignobles où l’on recueille le Jurançon, les pentes couvertes de moissons, les nombreux vergers et « ce peuple libre par son caractère, élégant, même sans culture, dont le noble est sans hauteur et le cultivateur sans grossièreté ». À grande distance, il voit la fourche aiguë du Pic du Midi d’Ossau « actuellement inaccessible ». Il passe à Lourdes, traverse la vallée d’Argelès, s’engage dans les beautés et « les horreurs » de la gorge de Pierrefitte, débouche à Luz, aperçoit Saint-Sauveur, tourne dans la morne vallée du Bastan et s’arrête à Barèges.

 

 

La première excursion de Louis Ramond est de passer le Tourmalet pour aller à Bagnères (1). La vallée de Campan l’inspire. C’est là qu’il comprend que ces montagnes sont « non des monuments d’éternité, mais au contraire des débris, et que tout tend à l’état d’équilibre : les sommets s’abaissent, les fonds s’exhaussent, les eaux nivellent, un degré d’inclinaison vient où il n’est plus d’éboulement possible, et la végétation s’installe sur ces ruines ». Ramond se pose deux questions : Où sont les plus hauts sommets de la chaîne ? Les Pyrénées renferment-elles de la glace, de la vraie glace comme en Suisse ? Rentré à Barèges, il s’engage vers le Pic du Midi par le lac d’Oncet et la Hourquette de Sencours. Lieu où le général de Nansouty établira son premier observatoire. Il commence l’ascension de la cime avec ses compagnons et le cardinal de Rohan. Surexcité par l’impatience, il s’élance seul vers le sommet et « du bord du précipice effroyable, voit un monde à ses pieds ! ». Il aperçoit les sommets principaux, son œil est conquis : c’est le coup de foudre ! En face, à plus de 16000 toises de distance (31 km), il reconnaît le Marboré, ses tours et sa Citadelle, le Mont-Perdu ! Ce massif calcaire l’a véritablement subjugué. Pourtant, il lui faudra attendre 15 ans avant de l’atteindre ! Avec la même compagnie, il fait l’excursion de Gavarnie pour voir les cascades et le pont de neige. Il retraverse Luz, décrit Saint-Sauveur, monte à gauche du Gave, là où sera placé le pont Napoléon, s’enfonce dans une gorge profonde, franchit le pont de Sia, parcourt un long et monotone défilé et rencontre un troupeau descendant des hauts pâturages. « Jeune berger en tête, brebis, chèvres, puis les vaches, les juments, les poulains étourdis, les mulets plus malins, enfin le patriarche et sa femme à cheval, les enfants en croupe, le nourrisson dans les bras de la mère, la fille occupée à filer sur sa monture, le petit garçon à pied, coiffé du chaudron, l’adolescent armé en chasseur et un autre fils portant la boîte à sel ».

 

 

Louis Ramond ne s’attarde pas à raconter ses excursions secondaires au pic de Bergons et une nouvelle visite le 13 août 1787 au cirque de Gavarnie, puis remonte au Pic du Midi où il rencontre Reboul et Vidal revenant du sommet du Néouvielle sans être parvenus jusqu’au sommet principal (1). Ramond reçoit de Reboul un croquis exact et précieux de la silhouette des Pyrénées vues du Pic. Ce chaos dévoile, d’ouest en est, le pic du midi d’Ossau, le pic « La Bassa » futur Balaïtous, le Vignemale et le massif du Mont-Perdu. Une incertitude sommitale cependant : Reboul voit la montagne du port d’Oo et Ramond pense avec raison à la Maladetta. Le 16 août, accompagné de Simon Guicharnaud, guide de Reboul, ils partent pour huit heures de marche par le col du Tourmalet, Tramesaygues, Paillole, la marbrière de Campan, le pied du pic de l’Arbizon, et débouchent à la hourquette d’Arreau, plus au sud que le col d’Aspin. Ramond s’extasie : «  C’est la vallée d’Aure qui se déploie tout entière sous les yeux, parée de ses nombreux villages, de ses antiques forêts, de ses riches cultures, de ses riantes prairies… ». Il repart, traverse Arreau, s’engage dans la vallée du Louron. De braves gens qui font route avec lui le prennent pour un déserteur et lui enseignent les passages secrets et difficiles pour l’Espagne. Une jeune fille de Viella (Vielle-Louron) lui offre du vin. Elle le guide au pont de la Neste et à un raccourci qui le mènera à la route du port de Peyresourde, superbe chaussée faite par «  L’Administration, comparable à ce que la France a de plus beau en ce genre », il entame la monotone descente dans le bassin de Luchon, traverse les beaux villages de l’Arboust, accède à la chapelle Saint-Avertin, voit le village de Trébons, la tour de signaux perchée de Castel-Blancat, admire ce paysage au soleil couchant. Il aperçoit « les sommets âpres et neigés qui dominent le port d’Oo », descend jusqu’au village et dort dans un gîte « où jamais il n’y en eut un moins propre à réparer les fatigues de 17 heures de marche ». Un orage terrible oblige le guide Simon et Louis Ramond à se mettre à l’abri sous un bloc de granit. 

 

 

À environ 3000 m, le paysage glaciaire inspire à Ramond la tentation de faire bâtir une demeure solide, chaude, bien approvisionnée où l’observateur « pourrait être présent à ces révolutions qui depuis tant de siècles n’ont jamais eu de témoins et soumettre au calcul les combats des éléments, la vitesse des vents, la puissance des neiges déplacées, les convulsions de l’air et de la terre. Non, ces jours ne seraient pas livrés à l’ennui. Que d’événements se succéderaient jusqu’à présent inconnus, inobservés, inouïs ! Que de sensations et que d’idées nouvelles ! Les tempêtes de l’automne, les brumes, les tourbillons, le silence, l’hiver, les longues nuits où la lune verse avec sa lumière le froid perçant des régions éthérées, puis le soleil, la chaleur, les avalanches, les torrents ». Cette longue rêverie concerne le désert glacé d’Oo. L’ouragan apaisé, apparaît le superbe mont Astos (le Posets). Le guide de Barèges, le brave Simon, rectifie la route tout en répugnant à se risquer sur la neige. Cet homme intrépide que son curé réprimande pour la hardiesse de ses entreprises, fera naître la réputation des montagnards pyrénéens, « incomparables sur le roc, timides sur la glace ». Une heure de pluie diluvienne après, la descente dans le val d’Astos de Vénasque les mène dans cette petite ville « triste et sauvage ». Hospitalité chez un marchand, excellent gîte, on invite quelques voisins à la table commune, servis par la maîtresse de maison et ses filles qui « célèbrent une de ces saturnales où n’assiste guère que le voyageur à pied ». L’auteur Henri Beraldi note, ici, que le récit se poursuit sans gaîté parce que le voyage est sans soleil. Aux Pyrénées, la seconde quinzaine d’août est une période de mauvais temps classique, presque obligatoire. Un vent furieux dans le dos, Ramond descend « par un zigzag en vingt-cinq replis ». La Maladetta à l’envers et par temps médiocre, c’est fait, le Mont-Perdu, sera pour bientôt !

 

(1) «Cent ans aux Pyrénées» - Henri Beraldi - 1898-1904 - Réédité Hachette Livre BNF-1971 - Les Amis du Livre pyrénéen - Pau -1977 - Monhelios - 2011.

 

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© Claude Larronde