Clous et Forges

 

 

 

On connaît la réputation des artistes cloutiers de Saint-Pé de Bigorre. Il suffit d’arpenter les rues et d’observer leurs chefs-d’œuvre sur bien des portes Saint- Péennes. Le regretté Pierre Pomès me racontait que coup de marteau après coup de marteau, un bon ouvrier plantait, de 5 heures du matin à 7 heures du soir, 8 à 900 clous et empochait 50 sous par jour, un excellent salaire !

 

Ces cloutiers tenaient marché à Lourdes. Ils allaient également à la foire de Gavarnie dans le courant de l’été et les Espagnols comptaient parmi leurs meilleurs clients. Ce que l’on distinguait en premier dans un atelier de clouterie était le gros soufflet pendu au plafond et relié à une grande roue d’un mètre vingt de diamètre environ qu’un malheureux chien faisait tourner pour attiser le feu de la forge. Dans toute la ville on entendait les coups répétés des marteaux sur les enclumes pour forger le fer et les fumées sortant de ces petites forges formaient un halo perceptible à plusieurs lieues à la ronde. À tel point que des groupes de pèlerins venus de Lourdes, qui chantaient des cantiques sur la route de Bétharram, pour les fêtes de Sainte-Croix, à la mi-septembre, se taisaient brusquement à l’entrée de la ville pour demander l’heure aux habitants. Pourquoi une telle curiosité, ici ? Une simple plaisanterie, me disait l’ancien maire érudit, une manière de faire remarquer que le bruit des marteaux empêchait d’entendre les sonneries d’horloge et que la fumée des forges masquait la position des aiguilles.

 

Le trésor des grottes

 

Le métier de cloutier étant victime de la productivité, maître mot du siècle nouveau, l’effondrement de l’économie Saint-Péenne ne devait se relever qu’avec l’ouverture des grottes de Bétharram. Jusque-là, le sous-sol et les grottes n’étaient connus que de quelques initiés.

 

Pour les ouvrir au plus grand nombre, il fallait aménager les accès, étudier les équipements intérieurs pour les mettre en valeur et offrir aux visiteurs un minimum de sécurité. Tout cela sera possible avec l’apparition de l’électricité. La proximité des pèlerins, à Lourdes, était une aubaine et la découverte d’un monde souterrain complétait admirablement leur séjour. Les déplacements étaient devenus plus faciles depuis l’ouverture d’une voie de chemin de fer, en 1867, doublée, en 1901, qui emmenait les voyageurs à proximité immédiate d’une de ces grottes. Léon Ross, qui visita une de ces cavernes naturelles située sous le massif de l’Aroû, quasi propriété de Saint-Pé, distante de 3 km, le comprit bientôt. Une petite centrale électrique, installée sur le Gave, permettait l’éclairage de l’architecture naturelle de la grotte. On se rendait de la gare de Saint-Pé aux grottes de Bétharram à pied ou en calèche. On envisagea même un tramway mais un peu trop tard : l’automobile commençait à séduire. La ville fut la grande bénéficiaire de la manne financière, m’affirma Pierre Pomès, auteur de l’excellente monographie de Saint-Pé de Bigorre d’où j’ai extrait ce texte.

 

Quel chantier cette jeunesse !

 

Les communications à la Société Académique des Hautes-Pyrénées de mon regretté collègue Pierre Pomès, de Saint-Pé de Bigorre, étaient très appréciées. Auteur de plusieurs ouvrages sur sa chère commune, il savait parler d’épisodes peu connus de la dernière guerre.

 

Par exemple, le chantier de jeunesse, groupement n°30, arrivé à Saint-Pé à la mi-juillet 1940. Débris d’une armée en déroute, conscrits de 1940 n’ayant même pas terminé leurs classes, dépenaillés et sans discipline, ils affluaient des casernes des grandes villes pour échapper à la capture allemande. Le Mal Pétain avait décidé de les cantonner à la campagne avant de les rendre à leurs familles. Mais cette forme de démobilisation se transforma en un service civil.

 

Ils s’installèrent sous les tentes sur le chemin des grottes, près de la ferme Getz. Inutile de préciser que la population n’était pas d’accord avec cet envahissement. Le 26 octobre 1940, le conseil municipal délibère pour protester contre le choix de ce terrain destiné au "Camp de jeunesse". Que l’on choisisse pour eux des terres incultes car "ces jeunes se conduisent comme en pays conquis". Ces terres labourables et cultivées de Getz, Borni, Labonne, Laribère, etc. ne pouvaient être réservées aux "Chantiers de jeunesse". Ils déménageront sur les communaux incultes du Mousqué, au camp de Ségus près de Mourrichi et à Rieulhès, lande en lisière de la forêt de Subercarrère. Non, mais...

 

 

Dessin de l'église de Saint-Pé de Bigorre par M. Betirac

 

Ils sont bien ces jeunes !

 

Le premier convoi des chantiers de jeunesse, arrivé à Saint-Pé de Bigorre, se conduisit comme en terrain conquis. Changement d’attitude et de mentalité avec le deuxième contingent incorporé en octobre 1940. Plus amicaux, ils donnent un coup de main aux exploitants agricoles, dès leur journée achevée.

 

Devant cette bonne volonté évidente, ces agriculteurs partagent avec eux le casse-croûte de l’amitié. Pendant les années 1940 à 1943, des liens étroits se nouent et se concrétisent, naturellement, par des mariages. Certaines Saint-Péennes quitteront la commune pour suivre leurs époux mais d’autres les retiendront au village et les y fixeront, raconte l’historien Pierre Pomès. Dès la fin de 1940, les dirigeants du camp ont pris en considération le souhait du conseil municipal : éviter l’occupation des terrains en exploitation. Mieux encore, le 23 mai 1941, les Chantiers proposent à la municipalité de se charger du nettoiement de la commune et de l’enlèvement des ordures ménagères par leurs soins et avec leur matériel contre une redevance de 2000 F par an qui sera reversée au bureau de Bienfaisance.

 

Ils s’occupent de la réfection de la route de Rieulhès à Lourdes, en septembre. En 1942, ils élargissent le chemin de Darrets-Cazaous et, en décembre, ils plantent les feuillus au Mousqué. Sur leur lancée, ils auraient construit la piscine communale mais les chantiers de Jeunesse, installés trop près de la frontière espagnole, sont déclarés indésirables par les Allemands, le 11 novembre 1942.

 

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© Claude Larronde